Tu ajoutes bien un nuage de lait à ton thé, pourquoi ne pourrais-je pas relever ma soupe d'une pincée de ciel ?
Parce que c'est loin pour aller en chercher, et que je ne saurais pas comment le rapporter. Il ne se coule pas dans une bouteille et passe entre les mailles des filets. L'oiseau qui vole le plus haut pourrait peut-être l'approcher, mais il serait bien en peine de l'attraper.
Comment tu fais, toi, pour tes nuages ? Qui va te les chercher ?
Personne. J'attends qu'ils tombent pour les ramasser. Mais le ciel, lui, est trop bien accroché.
Après le rite du Lancer de lentilles dans la forêt et l'essai désatreux du Ticket de bus qui devait faire une fleur, après Les radis dans la jardinière et Le ficus mort (et les primevères, et la menthe, et la ciboulette et quoi d'autre encore...), voici venir Robert L'Oignon. Il a débarqué jeudi soir chez la voisine, en plein milieu des préparatifs de la raclette, cheveux au vent, sûr de lui.
-Oh ! Celui-là on le garde ! On va faire une expérience !
ça, c'était moi, avec tout l'émerveillement et l'enthousiasme dont je suis capable, et qui étonnent de moins en moins mes voisins.
Résultat, après avoir bouffé trop de fromage et bu quelques verres, j'ai complètement zappé l'oignon et je suis rentrée sans lui.
Et puis le lendemain :
Ma voisine : Au fait, t'as oublié ça hier.
Moi : Tu l'as pas jeté ?!
-T'as dit "on le garde" alors je te l'ai gardé...
C'est à ce moment-là qu'il s'est soudainement prénommé Robert.
Alors bien sûr, Raya aurait été là, Robert se serait rapidement trouvé affublé d'un petit regard furieux ou d'un sourire débonnaire tracé avec le premier crayon/feutre/stylo venu (la vision de quatre Moi-patates ou d'une famille PQ me revient tout de suite en mémoire). Mais Raya n'est pas là, et moi j'ai la flemme (et la trouille de rater, bien sûr, ça m'embêterait de défigurer Robert).
Bref, je retrouve un vieux fond de terreau, un pot de fleur, je fous un coup de flotte et voilà le travail.
Les cactus prennent des paris sur la durée de vie de Robert. Zaza la-bouture-d'orchidée-donnée-par-une-mamie espère qu'il va survivre, elle en a marre d'être la seule plante autre qu'un cactus. Elle se dit qu'à deux, ils seront plus forts pour supporter les moqueries piquantes de ces petits ¤µ#* qui se prennent pour des survivors. Robert, lui, il vient de réaliser qu'il a très mal choisi son moment pour se faire remarquer, et maintenant il n'en mène plus très large...
C’est par ces mots que Suzanne, 85 ans, m’accueille à mon retour de vacances (après m’avoir préalablement et joyeusement souhaité une bonne année).
Petit retour en arrière…
J’habite, avec quelques autres « jeunes », dans un logements-foyer, résidence pour personnes âgées autonomes. Et depuis quelques temps, nous avons « un bruit ».
L’année dernière, déjà, d’étranges petits coups retentissaient quasiment tous les soirs vers 20h30 et/ou 22h. Le rythme était plutôt rapide, et cela ne durait jamais très longtemps. « Quelqu’un qui fait de la sculpture » ou « quelqu’un qui plante une punaise avec un petit marteau », selon les descriptions. Plus étrange encore, toute la colonne 8 était victime de ce « bruit » (c’est lors d’une discussion réunissant les mamies des appartements 38, 48, 68, ma voisine du 98 et moi-même résidant au 88 que nous nous en étions rendu compte). Le mystère a alimenté nos bavardages pendant quelques temps, puis les coups ont finalement cessé du jour au lendemain. Nous n’avons jamais su de quoi il s’agissait.
Mais ce qui nous arrive à présent est différent.
Tout a commencé quelques semaines avant les vacances de Noël. A nouveau quelque chose qui tapait, mais plus lentement, aussi bien en soirée qu’au milieu de la nuit.
Rebelote : discussion, conseil de guerre, constats, comparaisons : « y’a un bruit qui m’a réveillé à 5h du matin – ah, vous l’entendez aussi ? – Toi aussi ? J’ai cru que j’étais folle ! – ça fait comment ce que vous avez entendu ? … ».
La colonne 8 est encore la première touchée, sauf que cette fois, certaines personnes des colonnes 7 et 9 entendent aussi les coups, bien que plus faiblement. « On croirait quelqu’un avec une jambe de bois qui se déplace avec difficulté ». Au départ, tout le monde croyait que c’était la faute de sa voisine du dessus. Bon. Les jours passent, le bruit reste, rien de nouveau, je pars en vacances.
Et nous voilà donc au temps présent : retour de vacances et discussion avec Suzanne :
-Il est toujours là.
-Qui ça ?
-Ben, tu sais… Le Bruit…
(On lui met désormais des majuscules parce qu’il a pris une telle place dans la vie du foyer qu’on parle de lui comme d’une personne qui pourrait être physiquement présente)
Effectivement, il est toujours là. Mais il a changé…
Les coups qu’on n’entendait que la nuit retentissent maintenant en journée, et de plus en plus fréquemment. Et surtout, de plus en plus fort… Tout le monde y va de son hypothèse sur sa localisation (personnellement, j’opte pour la tuyauterie de la salle de bain). Il a au moins été établi que ça ne pouvait pas être quelqu’un qui tapait, cela ne se répercuterait pas ainsi dans trois colonnes ! Pourtant, quelques dames un peu têtues restent persuadées que c’est leur voisine du-dessus qui est à l’origine des coups. Alors pour la faire taire, elles tapent à leur tour sur le mur, le plafond ou encore les tuyaux de radiateurs. Ces gestes agacés se répercutant à leur tour dans la colonne, inutile de vous décrire le concert de « boum boum» et « gling gling» quiretentit certains soirs… sans jamais avoir l’effet escompté. Le Bruit ne se tait pas.
« Rien de bien méchant, tout ça, me dira-t-on finalement, juste un problème dans la tuyauterie ».
Ouais, c’est ce qu’on croyait aussi, au départ. Sauf que pour l’instant, personne n’a su le réparer, ce problème. Les techniciens sont pourtant allés jusqu’à monter sur le toit, à tout hasard. Et puis, ce serait faire abstraction des portes automatiques qui parfois ne s’ouvrent que pour laisser passer un courant d’air. Des deux fauteuils à l’accueil qui de temps en temps poussent des soupirs las. De Founotte-la-chatte, qui s’installe dans un des placards pour pleurer. La première fois, je croyais l’avoir enfermée par mégarde. Je me précipite, me sentant déjà coupable… pour constater que la porte est grande ouverte. Assise au milieu des fringues, Founotte m’observe un instant, surprise de mon arrivée un peu brusque, puis regarde autour d’elle et se remet à pousser des miaulements plaintifs. J’ai eu beau la questionner, impossible d’en tirer une explication concrète.
Avec tous ces éléments en main, les mamies ont eu tôt fait de tirer les conclusions qui s’imposaient :
Mme C. (qui réside au foyer depuis 1985) : Y’a sûrement un esprit.
Paulette (qui nous a fourni la description de la jambe de bois) : Oui, quelqu’un qui serait mort en réparant la tuyauterie.
Suzanne : Ou une résidente tombée dans la colonne. Et peut-être qu’un chat est mort dans ton placard et que Founotte sent encore sa présence.
(Visualisez bien cette discussion, qui se déroule dans le plus grand sérieux, autour d’une crème liégeois)
Moi : Y’a de quoi écrire une histoire !
Mme C. : Vous pourrez l’écrire ?
Moi : Seulement si vous me la dictez…
Cela fait au moins un mois que Le Bruit a élu domicile au foyer. Nous n’avons toujours pas pris le temps d’écrire son histoire. D’où vient-il ? Comment le déloger ? Il réussit à faire parler de lui sans que personne ne l’ait jamais vu, localisé ou identifié.
Je suis tentée d’appeler la cousine Raya à la rescousse (elle est actuellement en train de développer ses compétences en chamanisme et d’apprendre l’islandais, ça peut servir). Parce que mine de rien, l’ascenseur s’est bloqué ce week-end. Avec deux personnes dedans… Elles ont été libérées depuis, mais quand-même…
Plus d'un mois et demi après, j'ai pensé qu'il était temps de donner des nouvelles de ce fameux ticket de bus qui était censé faire une fleur (pour l'épisode précédent, c'est ici).
Les pousses apparaissent au bout d'une à trois semaines, telle était la promesse écrite sur le bout de papier biodégradable. Au bout d'une semaine : rien. Je ne me suis donc pas inquiétée outre mesure, persuadée d'être tombée sur des pousses feignasses. Et de prendre mon mal en patience pour encore une semaine ou deux. Ou trois. Ou quatre...
L'incertitude tourna en déception quand j'admis enfin que l'aventure du ticket de bus était finie avant même d'avoir commencée. Il fallait se rendre à l'évidence, rien ne se produirait. Aucune pousse n'apparaîtrait, et je n'aurai pas la joie de découvrir la couleur de ma fleur. Déçue, donc, mais pas surprise.
Déjà, je n'ai jamais eu la main verte. La seule plante que j'arrivais à maintenir en vie, c'était la menthe, truc increvable par excellence.
Mais en plus, depuis quelques temps, même la menthe meurt, victime de parasites non identifiés. Il souffle ici un mauvais vent.
Seuls les cactus sont épargnés, mais comme ils ne ressemblent plus à rien, on ne s'étendra pas là-dessus...
Une bonne nouvelle, quand même : le papier du ticket de bus était réellement biodégradable, aucune trace n'en a été retrouvée...
"Un ticket de bus 100 % nature avec le ticket qui pousse".
Voilà ce que je lis un matin en m'installant dans le bus. Perplexe, j'essaie d'en savoir plus. L'histoire se déroule entre le 1er et le 7 avril : les tickets de bus à 4€ valables toute la journée seront faits d'un papier biodégradable dans lequel auront été incrustées des graines de fleurs. Ce n'est qu'hier soir en écrivant cet article que j'ai compris que cette opération était réalisée à l'occasion de la semaine du développement durable...
Sagit-il d'une simple opération "coup de pub" ou d'une tentative de sensibilisation écologique, je ne saurais dire. Quoi qu'il en soit, ça m'intrigue. Je me décide donc à acheter un ticket journée à 4€, non par réflexe citoyen (ou écologique, ou autre), mais par pure curiosité : Est-ce que ça va vraiment marcher ? Si oui, à quoi va ressembler la fameuse fleur ? Gros suspens.
Bref, j'achète, consciente que s'il ne s'agit que d'une opération coup de pub, ça fonctionne très bien avec moi.
Au verso :
"Prendre le ticket ensemensé, le faire tremper 30 mn, le planter dans du terreau léger, arroser, exposer au soleil à l'abri du froid. Les pousses apparaissent entre 1 à 3 semaines".
Bon. Je m'exécute. Pour mettre toutes les chances de mon côté, je mets un compte à rebours pour la période de trempage.
Et puis le doute m'envahit : est-ce que mon reste de terreau de l'année dernière est léger ? Ai-je arrosé ou noyé ? Et, le comble, il n'y a actuellement pas de soleil. Des tas de bonnes raisons pour que ça rate. A priori, je serai fixée dans une à trois semaines.
J'attends, donc, avec la plus grande perplexité, à la limite du scepticisme.
Mais si vous, vous ne voulez pas attendre, la réponse est ici.
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